Devenir chroniqueur m'a certainement donné quelque peu la grosse tête. Figurez-vous que je me suis un jour benoîtement mis en tête d'expliquer à ma Tante Ursule ce qu'était le krautrock. Et pourquoi pas le motorik ? Elle m'a arrêté aussi sec, Ursule, au milieu de mon "tu vois tatie, le krautrock, c'est du rock-choucroute, parce que c'est allemand et aussi parce que pour certains, ça été difficile à digérer. Imagine le Velvet Underground qui...". Ma tatie, le krautrock, elle l'a vécu bien avant les rééditions massives d'albums dont les années 2000-2009 nous ont gratifié ; à l'époque, elle était justement en Allemagne, et c'est elle qui m'en a raconté...
Mais que voulez-vous, on n'en reste pas si facilement là et il a fallu, quelque jours plus tard, que je tombe sur Brand Neu!, tribute album à l'un des groupes-phares du dit mouvement-choucroute. Neu! (prononcer à l'allemand : "noï") a été formé par Klaus Dinger et Michael Rother après leur départ du tout premier Krawftwerk. En trois albums (Neu!, Neu!2 et Neu!75), respectivement publiés en 72, 73 et 75), ils ont réussi, avec leur condisciples de Can, Faust ou Popol Vuh, l'étonnante performance d'inventer un sous-genre du rock à l'identité très forte leur permettant d'enter de façon durable dans l'histoire du rock, mais sans jamais vraiment transformer cette invention en réel succès public ou commercial.
Fier de ma trouvaille, heureux d'apporter un peu d'inédit à l'historique, j'ai donc tout naturellement ramené ma fraise. Et ça, Ursule, tu ne connaissais pas hein ? J'introduis le disque dans son vieux mange-disque et ma tatie, dès les premières dizaines de secondes, pose son crochet, esquisse un sourire, s'emparre de la pochette et confirme : il n'a rien d'original, mon tribute album.
En fait, très peu de titres semblent avoir réellement été enregistrés pour l'occasion. Le titre d'ouverture, par Ciccone Youth (oui, oui, c'est bien un projet parallèle de Sonic Youth) avait été publié sur le White(y) album (1988). Le "I can see it now" d'Oasis se trouvait sur l'édition japonaise de l'album Don't believe the truth (2005). Et ainsi de suite. Jusqu'aux deux titres qui peuvent se vanter de créditer les deux fondateurs de Neu! : "Neutronics 98" par Michael Rother figurait déjà en 1998 sur... un autre tribute album (A homage to Neu!) ; "Sketch 1_08" avait été enregistré en guise de matériel original par La Duesselforf, dernier projet musical de Klaus Dinger avant sa mort, en mars 2008.
D'ailleurs, un certain nombre de titres ne sont même pas des reprises de Neu!. Album-hommage, album-hommage... suffirait-il donc d'aimer Neu! et de penser à Neu! pour figurer sur un album-hommage ? Le jeu de mot serait alors facile entre Brand Neu! ("tout nouveau") et Brand Neu! ("Neu!, la marque" – au sens tout à fait commercial du terme, avec sa façon désinvolte d'aligner les grands noms de la production musicale d'aujourd'hui – à ceux déjà cités on pourra rajouter School of seven Bells, Primal Scream, Foals, Kasabian...).
Mais ne noircissons pas les choses, même tante Ursule n'a pas craché dans la soupe (ce qui lui arrive parfois, ne vous laissez par abuser par son air de retraitée placide) : l'ensemble, quoique inégal, c'est la loi des compilations, reste d'assez bonne facture et propose d'authentiques bons moments, dans un esprit très krautrock-d'aujourd'hui, sinon dans la lettre de la stricte reprise de commande, ce qui n'est pas forcément un défaut en soi.
L'album a tout au moins l'immense mérite de vouloir manifester l'importance historique d'une formation encore trop méconnue, d'en explorer l'esprit et l'héritage, ce dont on lui saura gré. Quant à ceux qui voudraient reprendre un bain de jouvence, ils reviendront avec plus de profit à l'écoute des albums originaux. Mais toi, tatie, explique-moi plutôt cette dédicace sur ton édition vinlye : "für Ursule, for Ever"... |